“J’ai couru avec le sang qui coulait le long de mes jambes pour les femmes qui n’ont pas accès aux tampons, et pour celles qui, malgré les crampes et la douleur, cachent leurs règles et font comme si elles n’existaient pas. J’ai couru pour dire : elles existent bel et bien, et nous les surmontons chaque jour.”
Depuis des décennies, la publicité pour les produits menstruels entretient l’idée qu’il faut dissimuler ses menstruations. Elles montrent souvent des scènes rythmées, des mannequins accomplissant des exploits sportifs et des slogans tels que “discret”, “invisible” ou “anti-fuites”. Si ce discours peut paraître valorisant au premier abord, il révèle surtout le malaise profond que la société entretient avec les menstruations. Le message implicite reste le même : cacher ses règles, coûte que coûte.
Mais que se passe-t-il lorsque nous adoptons une approche radicalement différente, qui refuse le secret et considère les menstruations comme un processus corporel naturel, légitime et visible ?
C’est la philosophie qui sous-tend le flux instinctif libre, une pratique qui a gagné en popularité ces dernières années, tant dans les milieux militants que dans les communautés de bien-être.
En résumé, le flux instinctif libre consiste à vivre ses règles sans recourir à des produits menstruels qui bloquent ou recueillent le sang, laissant l’écoulement se faire naturellement, sans tampons, serviettes hygiéniques ni coupes menstruelles. Bien que simple en apparence, cette pratique remet en question les normes sociales et ouvre la voie à des discussions plus larges sur l’autonomie corporelle, la stigmatisation, l’accès aux produits et leur durabilité.
Le flux instinctif libre : qu’est-ce que c’est ?
Les règles libres, ou flux instinctif libre, désignent les menstruations vécues sans recours aux produits menstruels traditionnels. Pour certaines personnes, cela peut impliquer un écoulement direct dans les sous-vêtements ou les vêtements ; pour d’autres, cela peut se traduire par l’usage de produits menstruels réutilisables comme des culottes absorbantes, des bodys ou des shorts.
Il n’existe pas de définition unique du flux instinctif libre. Certaines personnes choisissent de le pratiquer uniquement les jours de flux léger ou à la maison, tandis que d’autres l’adoptent de manière exclusive ou dans le cadre d’un choix de vie plus global. Il est important de noter que de nombreuses personnes pratiquant le flux instinctif libre rapportent avoir développé une meilleure compréhension intuitive de leur cycle, une connexion parfois altérée par l’usage de produits menstruels classiques.
Si les avis divergent sur la question de savoir si le port de culottes menstruelles relève véritablement du flux instinctif libre, beaucoup s’accordent à dire que leur intérêt réside dans la flexibilité et la liberté qu’elles offrent. Il n’existe pas de règles strictes, seulement le choix et le confort de chacune.
Pourquoi pratiquer le flux instinctif libre ?
Il existe plusieurs raisons pour lesquelles une personne pourrait être tentée d’explorer le flux instinctif libre ! Tout d’abord, les produits menstruels classiques ne sont pas toujours confortables. Ils peuvent provoquer des irritations, assécher la zone intime, ou simplement ne pas répondre aux besoins individuels, notamment en cas de flux irrégulier ou abondant. La quête du produit “idéal”, souvent longue et épuisante, peut rapidement devenir frustrante.
De plus, le coût et l’accessibilité restent des obstacles majeurs pour de nombreuses personnes. Un rapport du Conseil du statut de la femme met en évidence les problèmes persistants liés à la précarité menstruelle, notamment dans les communautés à faible revenu. Les produits soumis à la “taxe rose” sont souvent inaccessibles pour les populations marginalisées, entraînant des répercussions économiques et sanitaires. Le flux instinctif libre constitue une alternative peu coûteuse qui, bien que non adaptée à tous les contextes, peut réduire la dépendance aux produits jetables onéreux.
Les préoccupations sanitaires sont de plus en plus citées pour expliquer le choix du flux instinctif libre. De nombreux produits menstruels, comme les tampons et les serviettes hygiéniques, contiennent des substances chimiques et des parfums potentiellement nocifs, alors que la législation actuelle n’impose pas une transparence totale sur leur composition. À mesure que la sensibilisation progresse, l’intérêt pour des produits menstruels naturels, biologiques et durables augmente également, que ce soit en privilégiant des produits plus sûrs ou en y renonçant complètement.
Il y a également l’impact environnemental. Les produits menstruels jetables génèrent plus de 20 milliards de déchets par an, dont beaucoup mettent des centaines d’années à se décomposer. Le flux instinctif libre peut contribuer à réduire considérablement ces déchets, notamment lorsqu’il est associé à des produits menstruels réutilisables et lavables.
Au-delà de ces motivations personnelles, le fait de ne pas cacher ses menstruations constitue également un acte politique et social. Choisir de ne pas dissimuler ses règles représente un défi direct à la stigmatisation profondément ancrée qui inculque l’idée que les menstruations sont sales, honteuses ou inappropriées.

Un exemple marquant de ce phénomène remonte à 2015, lorsque la musicienne et militante Kiran Gandhi a couru le marathon de Londres en pratiquant le flux instinctif libre. Ne disposant pas de produit menstruel adapté le jour de la course, elle a choisi de courir sans. Ce geste est rapidement devenu un symbole de résistance. Sur son blog, Gandhi a écrit : “J’ai couru avec le sang qui coulait le long de mes jambes pour les femmes qui n’ont pas accès aux tampons, et pour celles qui, malgré les crampes et la douleur, cachent leurs règles et font comme si elles n’existaient pas. J’ai couru pour dire : elles existent bel et bien, et nous les surmontons chaque jour.” Son expérience illustre combien le flux instinctif libre peut être à la fois une source d’émancipation personnelle et un acte politiquement engagé, mettant en lumière la marchandisation de la féminité et l’injonction faite aux femmes menstruées de rester désirables, calmes et invisibles, même lorsqu’elles vivent un processus biologique complexe.
Nous avons eu la chance de discuter avec Maxime Ratté, athlète montréalaise qui a récemment couru 100 km pendant ses règles. Elle nous a fait part des défis physiques, des moments d'intense joie et de la fierté qu'elle a ressentis en accomplissant cet exploit d'endurance. Adhérant pleinement au mantra “Laisse couler”, l’expérience de Maxime illustre parfaitement la philosophie du flux instinctif libre : faire confiance à son corps, honorer son cycle et rejeter l’idée que les menstruations doivent être cachées. Son histoire rappelle avec force que les règles ne doivent pas constituer un obstacle à la performance ou à la participation, et souligne l’importance de parler ouvertement des menstruations, que ce soit dans le sport ou au quotidien, afin de briser les tabous et de favoriser l’émancipation.
Résistance au flux instinctif libre et risques potentiels
Malgré ses avantages potentiels, le flux instinctif libre demeure un sujet très controversé. Pour certaines personnes, l’idée même suscite choc, malaise, voire dégoût. Sur internet, des groupes antiféministes ont tenté de discréditer le mouvement, le réduisant à une caricature d’activisme radical.
Cette réaction découle souvent de tabous sociaux profondément enracinés. Certaines personnes perçoivent les écoulements menstruels sur leurs vêtements comme un manque d’hygiène, voire un signe d’irresponsabilité. Pourtant, les experts en santé confirment que le flux instinctif libre ne présente aucun risque médical significatif lorsqu’il est pratiqué dans le respect des règles d’hygiène. Les craintes concernant la transmission de maladies par le sang, comme l’hépatite B ou C, sont largement infondées : la transmission n’est possible qu’en cas de contact direct sang à sang. L’utilisation de produits menstruels lavables et antimicrobiens permet d’éviter tout problème d’odeur, de taches ou d’inconfort.
Bien sûr, des accidents peuvent survenir, tout comme avec les produits menstruels classiques. Cependant, les adeptes du flux instinctif libre soulignent qu’une meilleure connaissance de son corps et de ses cycles permet une autorégulation plus efficace, notamment pour choisir les moments passés aux toilettes et les vêtements adaptés.
Le problème de fond ne réside pas dans la question de savoir si un flux abondant est “suffisamment propre” ou “suffisamment normal”. Il concerne plutôt la stigmatisation persistante entourant les menstruations elles-mêmes, ainsi que la pression exercée sur les personnes menstruées pour qu’elles privilégient la dissimulation et le contrôle au détriment de leur confort et de leur autonomie.
Conclusion
Il n’existe pas de solution universelle en matière de soins menstruels, et chacune doit être libre de choisir les méthodes qui lui conviennent le mieux, en fonction de son corps, de son environnement et de son mode de vie.
Cela dit, l’essor du flux instinctif libre ouvre la voie à un débat important et attendu sur la perception et le contrôle des règles. Cette pratique remet en question les valeurs étroites qui sous-tendent l’industrie des produits menstruels, souvent axée sur la discrétion plutôt que sur la santé, sur l’esthétique plutôt que sur l’autonomie, et sur le silence plutôt que sur la visibilité.
Prendre soin de sa santé menstruelle ne devrait jamais être une source de honte ni de secret. Qu’il s’agisse de flux instinctif libre, de culottes réutilisables, de produits en coton biologique ou de toute autre méthode, les personnes menstruées méritent d’avoir accès à des choix qui reflètent leurs besoins, leur corps et leurs valeurs, et non uniquement les préférences d’un marché conçu pour les faire taire.


