MILIEU DE TRAVAIL / Il se passe actuellement une petite révolution derrière la porte des toilettes dans des milieux de travail : en plus du savon et du papier, on y retrouve désormais des produits menstruels offerts gracieusement.
Le phénomène a pris de l’ampleur au cours des derniers mois. Influencées par les modifications au Code canadien du travail qui entreront en vigueur le 15 décembre (et qui obligeront les organisations régies par le fédéral à rendre accessible les produits menstruels), de plus en plus de PME québécoises ont emboîté le pas.
Les gestionnaires n’ont pas besoin de se rendre en magasin pour faire leurs achats : les produits peuvent leur être livrés directement au bureau. Alea Protection, une jeune pousse montréalaise, vient d’ailleurs de compléter sa première livraison.
«On a livré nos premières commandes dans 450 salles de bain corporatives au pays», lance fièrement la fondatrice, Roxane Champagne-Duval.
En trois mois d’activités, elle s’est bâti une clientèle diversifiée, en débarquant notamment dans les bureaux d’Intelcom, de la Banque de développement du Canada (BDC) et dans des PME, comme les sacs Lambert et Sismik.
La jeune femme travaillait son projet d’entreprise depuis deux ans. «Je voyais qu’il y avait un besoin et que d’autres pays et provinces avaient déjà adopté des politiques pour obliger l’accessibilité. On savait que ça s’en venait ici», explique-t-elle.
Selon elle, le Québec pourra rapidement rattraper son retard.
Un mouvement qui prend de l’ampleur
Plusieurs entreprises ont même devancé cette échéance, et ce, même si elles ne sont pas concernées par cette loi fédérale.
«On s’est dit : on aurait dû le faire avant, c’est tellement une évidence!», lance Ann-Florence Brouillard, directrice générale et associée de Brouillard Communication. La petite agence de Québec met à la disposition de ses employées des tampons et des serviettes.
Brouillard a été parmi les premières à joindre le mouvement initié par Iris + Arlo, en mars dernier. Basée à Montréal, la jeune pousse Iris + Arlo a contribué à «faire avancer les choses», soutient Ann-Florence Brouillard, «en mettant sur la place publique un enjeu qui relevait de la sphère intime».
Iris + Arlo est une initiative de l’entrepreneure Lara Émond. Rapidement, elle a eu un effet boule de neige. «Il fallait que quelqu’un en parle tout haut pour que ça bouge», estime Mme Brouillard.
Dans les derniers mois, 150 entreprises et organisations ont joint le mouvement en devenant client chez Iris + Arlo. La liste des clients est variée; on y retrouve le bureau d’avocats Lavery, les Hôtels Le Germain, le studio Sqeeze, Omy Laboratoires et le fabricant de produits ménagers Myni. Ceux-ci reçoivent ces jours-ci la première livraison de leur plan d’abonnement.
L’entreprise a également mis sur pied un projet-pilote à l’Assemblée nationale et espère conclure des ententes de distribution avec des institutions d’enseignement et des centres de services scolaires.
Mousser la marque employeur
Qu’est-ce qui incite les employeurs à offrir des produits menstruels sur les lieux de travail? La volonté de mousser la marque employeur, estime Mme Champagne-Duval. «C’est une mesure qui peut faire la différence pour attirer de nouveaux employés ou pour favoriser le retour au bureau.»
Mais c’est surtout pour favoriser le bien-être au travail. «Les employeurs et les gestionnaires veulent que les employés se sentent bien au bureau, qu’ils et elles soient à l’aise. Ça peut être un geste simple comme celui de diminuer l’anxiété des menstruations», soutient-elle.
Selon elle, l’engouement est motivé par la loi fédérale, certes, mais aussi par «le gros bon sens».
«Je suis toujours en train de courir après des tampons dans ma sacoche, donc d’en avoir pour moi et pour les filles de l’équipe, à disposition dans l’endroit où on passe le plus de temps dans une journée est tout simplement logique et naturel», intervient Ann-Florence Brouillard.
Ce que dit la loi
À compter du 15 décembre, des modifications au Code canadien du travail garantiront un accès gratuit à des produits menstruels, mais pas partout.
Cette directive s’appliquera dans les milieux de travail sous réglementation fédérale. En plus de la fonction publique fédérale et de la plupart des sociétés d’État, elle concerne aussi les entreprises du secteur privé sous réglementation fédérale – essentiellement les institutions financières, le transport, la radiodiffusion et les télécommunications.
Ainsi, des tampons et des serviettes hygiéniques devront être mis à la disposition autant des employés que des usagers.
Rappelons que le budget fédéral de 2022 a alloué une somme de 25 millions $ pour lancer un projet pilote afin de constituer un Fonds d’équité menstruelle. Le projet vise à favoriser l’accès aux produits menstruels pour les personnes qui en ont besoin ou peuvent avoir des difficultés à les payer.